1. Les faits

    Deux communautés sont à couteaux tirés. Les Kirdi-Mora (KM) d’une part accusent les Peuhl d’avoir laissé divaguer leur bétail lequel  aurait  dévasté leurs champs au lieudit  Adékolé. YAOUBA SALI, septuagénaire et  l’une des victimes déclare à ce sujet que : « Nos frères Kirdi-mora se plaignent que, notre bétail a dévasté leurs champs. La colère est d’autant plus vive que le Chef de Canton de Meme, soucieux de toucher du doigt la vérité et au besoin trouver des voies et moyens de résolution de la crise, effectue une descente sur les champs dévastés (entouré de ses sept (7) notables et trois (3) gendarmes) et y convie son homologue Kirdi-Mora et trois de ses notables. Cela se passe Vendredi dernier  (ndlr :15 Juillet). Curieusement, le Chef kirdi-mora et ses collaborateurs refusent de se présenter. On croit la colère en baisse et du coup, le lendemain les kirdi-mora surgissent et se lancent à la chasse de nos 13 bœufs. Ils  capturent deux et les conduisent à la Mairie de Mora. Les onze autres sont portés disparus…Inquiet par l’évolution de cette affaire, je saisis le lendemain par écrit toutes les autorités de la ville de Mora à savoir : Le  Préfet, Sous-préfet, Procureur de la République, Maire, Commandants de la Compagnie et de la Brigade de Gendarmerie. Une réunion de crise est organisée à la Préfecture le dimanche à 20h et décision est prise pour une rencontre le lundi matin à 10h30 à la Préfecture. C’est donc au moment où je franchis le seuil de la Préfecture que je reçois un appel selon lequel, environ 300 kirdi-Mora sont chez nous entrain de tout détruire. »

Que cacherait la présumée  inertie des autorités locales face au vandalisme des KM contre les peuhls ?

L’extrait qui précède nous ouvre la voie à trois préoccupations majeures  :

  • La volonté des autorités locales d’éviter tout débordement en contenant les passions. La réunion de crise tenue nuitamment le dimanche 17 juillet l’atteste. Cependant, comment admettre que nonobstant cette bonne volonté, les mêmes autorités aient laissé les vandales détruire les biens des peuhls ? Pourquoi n’avoir pas pris des mesures conservatoires afin de limiter les dégâts ? Pourquoi n’avoir pas procédé à l’interpellation des fauteurs de troubles ? Que deviennent les pouvoirs conférés à nos autorités lorsque la paix civile est en péril ? Le patriarche répondant à la même question posée par notre partenaire (voir ci-dessous Entretien avec Journal Observatoire Droits de l’Homme ) dira de manière laconique  que « J’ai cru entendre que les vandales étaient trop nombreux, environ 300 personnes, et qu’il fallait éviter de les bousculer aux risques que la situation dégénère en autre chose de plus grave. » ;
  •  Comment admettre que des chefs civils et militaires entourés d’une escouade d’éléments des forces de défense refusent d’apporter leur secours aux personnes en danger de mort et préfèrent faire figure de spectateurs indolents et poltrons face à la démolition de leurs biens ?
  • Et si l’on présumait que ces autorités seraient de mèche avec ces assaillants, l’on se ferait coller des étiquettes de menteurs, de grivois et même de fripons puisque selon toutes vraisemblances, cette hypothèse est de tout point de vue inadmissible. Soit ! Pourquoi n’avoir donc pas empêché la destruction de tous ces biens si au hasard de toutes probabilités, des accointances incestueuses n’existeraient pas entre ces vandales et ces autorités ?
  1. Soudain bellicisme de la Communauté Kirdi-Mora (KM), réputée naïve et soumise.
  • Bref résumé de l’identité de la Communauté KM

« L’histoire officielle des peuples autochtones du  Mayo-Sava, fait allégrement ressortir la stratigraphie clanique de toutes ces communautés depuis au moins deux siècles. Le  Professeur  ALAWADI ZELAO, en apporte un éclairage de plus dans sa publication parue en 2002 sous le titre  « Système des Nations Unies de protection et de promotion des droits des minorités : l’exemple des minorités Montagnardes à l’Extrême-Nord Cameroun ». Aussi, les grands axes qui parsèment le cheminement des KIRDI-MORA tout au long de l’histoire, nous renseignent-ils aux dires des sages que nous avons consultés que, leur installation (…) remonte à deux siècles huit ans, soit en 1814 sous le règne d’ALKOTE. Ils s’y seront rejoints par les PODOKOS autour de l’an 1900. C’est donc le 12 Septembre  1904 que le  Roi ALKOTE meurt et se voit remplacer  deux ans plus tard, en Décembre 1906  par ZAKOUA AKOVE. ».

  •  La Communauté KM dans la sociologie politique locale

La Communauté KM aux côtés des autres minorités sœurs installées sur les flancs de montagne ( au rang desquelles les  podoko, mathal, zoulgo, Mouyang, mada, etc.) sont les plus marginalisées de toutes les autres. A tous les niveaux d’échelle, ces communautés payent le lourd tribut de la discrimination. Nous ne parlerons pas de la fonction publique et autres nominations pour lesquelles ces communautés affichent un taux de présence à un chiffre, pour nous appesantir sur le traitement qu’elles subissent des agents de l’Etat. C’est connu et vérifié que sur cinq malades expulsés de l’hôpital pour défaut de moyens financiers, quatre sont montagnards. Sur cinq personnes injustement interpellées, jetées dans les cellules de gendarmerie et quelquefois torturées, toutes sont montagnardes. Qui ignore que de nombreux chefs traditionnels réputés tortionnaires et toujours protégés par l’appareil judiciaire  ont fait plus de victimes dans les rangs de ces communautés montagnardes ? Qu’est-ce qui explique le fait que ce soit toujours les filles et fils de montagnes qui subissent le détournement des frais des examens (CEP) et Concours d’entrée aux secondaires et des années blanches depuis de lustres sans que le préjudice ne soit réparé et les coupables punis ? Dans la disponibilité de produire des preuves de ce qui précède, nous sommes en droit de penser (sans approuver la méthode) que les actes de violences perpétrés il y a peu par la  Communauté KM est la manifestation d’une prise de conscience de leur responsabilité face aux injustices subies depuis plusieurs années. Aussi, en condamnant le vandalisme dans toutes ses formes, nous pensons que cette question mérite d’être explorée sous plusieurs autres angles.

  1. Perspectives

En condamnant les actes de barbarie perpétrés par la communauté KM et en attendant que la cause du patriarche YAOUBA SALI soit entendue, il est de bon ton de rappeler que sur tout autre plan, le comportement de cette même Communauté KM mérite d’être perçu sous l’angle du changement de paradigme. Lorsque des peuples frustrés, opprimés, maltraités et marginalisés se soulèvent, c’est la preuve si non une de ce que, les lueurs de la liberté et de l’épanouissement sont perceptibles et rien dans ce cas ne peut les décourager. Si d’emblée la répression s’impose pour le cas de figure, sa valeur s’ancrera davantage dans la conscience collective, lorsque les bourreaux des Kirdi-Mora et autres minorités locales, hier impunis et protégés par notre Tribunal, se verront de la même manière sanctionnés. Et Victor Hugo dans Les Misérables ne se serait pas trompé lorsqu’il y a de lustres il disait que « parfois, insurrection, c’est résurrection. »

ENTRETIEN

YAOUBA SALI, 72 ans, éleveur, né vers 1950, domicilié au lieudit Adékolé, Canton de Meme, Arrondissement de Mora, père de plusieurs enfants et petits-fils. issu de la communauté peuhle, est décidément la cible d’une expédition punitive menée par la communauté kirdi-Mora le lundi 18 Juin dernier. En marge du bilan qui affiche zéro mort d’hommes, les pertes matérielles sont énormes au moment où les assaillants promettent le pire les jours à venir. C’est dans ce contexte tendu et arrosé d’incertitudes que le patriarche réfugié à un lieu sûr, nous reçoit et nous livre son témoignage.

La journée du 18 Juillet dernier vous marquera à vie, au regard de tout ce que votre communauté a subi..Que peut-on retenir des origines de cette crise ?

Permettez-moi de préciser que ce n’est du tout pas une communauté qui a été agressée, mais une famille issue d’une communauté. Je ne sais pas si c’est ma communauté qui est visée ou simplement ma famille…

Comment arrivent vos ennuis ?

Nos frères Kirdi-mora se plaignent de ce que, notre bétail a dévasté leurs champs. La colère est d’autant plus vive que le Chef de Canton de Meme, soucieux de toucher du doigt la vérité et au besoin trouver des voies et moyens de résolution de la crise, effectue une descente sur les champs dévastés (entouré de ses sept (7) notables et trois (3) gendarmes) et y convie son homologue Kirdi-Mora et trois de ses notables. Cela se passe Vendredi dernier (ndlr : 15 Juillet). Curieusement, le Chef kirdi-mora et ses collaborateurs refusent de se présenter. On croit la colère en baisse et du coup, le lendemain les kirdi-mora surgissent et se lancent à la chasse de nos 13 bœufs. Ils  capturent deux et les conduisent à la Mairie de Mora. Les onze autres sont portés disparus…Inquiet par l’évolution de cette affaire, je saisis le lendemain par écrit toutes les autorités de la ville de Mora à savoir : Le  Préfet, Sous-préfet, Procureur de la République, Maire, Commandants de la Compagnie et de la Brigade de Gendarmerie. Une réunion de crise est organisée à la Préfecture le dimanche à 20h et décision est prise pour une rencontre le lundi matin à 10h30 à la Préfecture. C’est donc au moment où je franchis le seuil de la Préfecture que je reçois un appel selon lequel, environ 300 kirdi-Mora sont chez nous entrain de tout détruire.

Avec un peu de recul, qu’est-ce qui selon vous, aurait justifié le refus du chef Kirdi-Mora de répondre à l’invitation de son homologue de Memé ?

Difficile de savoir. Cependant, la suite des évènements fait penser qu’un projet de nuisance était en préparation et toutes initiatives comme  celles du Chef de Meme étaient sans objet. C’est ce que j’essaye de penser.

Vous avez parlé d’une réunion de crise qui s’est tenue de nuit dans la nuit du dimanche à la préfecture du mayo-Sava. Qui sont ceux qui y étaient conviés ?

Le Préfet, le Sous-Préfet , les chefs de Meme et Kirdi-Mora et moi.

Que retenir des résolutions ?

Le Préfet a instruit au Chef des Kirdi-Mora de mobiliser tous les chefs de quartiers de son ressort de commandement et de les conduire à la réunion du jour suivant ( ndlr : Lundi 18).

A vous écouter, on se rend compte que les Préfet et Sous-préfet se sont réellement impliqués dans le sens d’éviter tout débordement. Qu’est-ce qui justifie selon vous les propos de ceux qui laissent entendre que le préfet et son état major ont plutôt failli ?

Je ne l’ai jamais dit. Demandez à ceux qui vous l’ont dit.

Vous avez dit en l’entame de cet entretien que c’est votre famille et non votre communauté qui était ciblée pat cette attaque. Sur quoi reposent vos arguments ?

Les maisons de mes enfants et la mienne propre ont été toutes attaquées. Et en plus, ils m’ont ouvertement dit de quitter cet endroit avant qu’il ne fut tard aux risques de payer par mon sang.

Nous avons dénombré une dizaine de maisons détruites…En êtes-vous propriétaires ?

Non.

Qui sont à votre connaissance les victimes directes de ce vandalisme ? quelle est la nature de vos liens ?

04 chefs de famille qui sont mes fils, 31 petits-fils, 05 brus. En plus des miens, on dénombre quatre autres victimes. ( Moussa, Saly, Souley, Yacouba)

Avez-vous vécu en direct la destruction de vos maisons ?

Naturellement. Tout s’est passé sous mon regard. Il n’y a pas que les biens détruits. Ajoutez-y le vol d’argent, de vêtements et objets précieux.

Où se trouvaient les autorités au moment où ces vandales agissaient ?

Elles étaient présentes sur les lieux. Les militaires et gendarmes étaient aussi là et n’ont pas réagi.

Pourquoi selon vous ?

J’ai cru entendre que les vandales étaient trop nombreux, environ 300 personnes, et qu’il fallait éviter de les bousculer aux risques que la situation dégénère en autre chose de plus grave.

Y a-t-il eu des arrestations dans les rangs de ces vandales ?

A ma connaissance non.

Vous avez dit il y a un instant que vos ennemis vous ont conseillé de quitter  votre lieu de résidence aux risques de vivre le pire…A quel instant vous ont-ils brandi cette menace et qui peut en témoigner ? Qu’entendez-vous faire ?

Où vais-je aller ? Comment pourrais-je quitter cette aire  où j’ai vu plus de 40 ans en paix ? C’est devant les autorités qui écoutaient. D’ailleurs, je dois vous dire qu’à mon arrivée sur les lieux, ils ont failli m’agresser. Ce sont les militaires qui  se sont interposés. Plus tard, lorsque je quittais les lieux, ils me poursuivaient en scandant  des menaces. C’était en  public.

Avez-vous une idée de l’identité de ceux qui sont présumés avoir détruit vos maisons et autres biens ?

J’ai les noms de 11 meneurs que voici :

Par-dessus tout, que pensez-vous de votre responsabilité au sujet de la dévastation de plantations des kirdi-Mora ?

Je puis vous rassurer que ce ne sont pas mes bœufs qui ont dévasté les champs qui nous créent tous les problèmes de l’heure. Si le Chef des Kirdi-Mora avait accepté de se présenter comme souhaité par le Chef de Canton de Meme, il aurait, entouré de ses notables, constaté que mes bœufs n’y sont pour rien. Mais, il s’en est moqué !

Confirmez-vous qu’il y a eu bel et bien destruction des plantations par des bœufs ?

Je pense que oui. Mais mon bétail ne se trouvait pas là.

Quelles sont actuellement vos attentes ?

Nous sommes en pleine saison des pluies et mes proches et moi sommes dans la nature sans espoir des lendemains sécurisés. Je fais publiquement l’objet de menaces de mort et cela m’inquiète. J’attends du gouvernement, toutes les garanties de sécurité pour mes biens et proches.

Propos recueillis en langues Fufuldé et Mandara

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