WAZOU  TAÏLDA, 22 ans, élève de Tle C au Lycée Mixte de Mora( voir photo ci-contre), compte parmi les victimes collatérales de la guerre qui oppose le Cameroun à la secte de Boko Haram. Son histoire pathétique frôle l’inédit et interpelle chacun de nous. Aîné d’une fratrie de six enfants dont trois filles et trois garçons, il nous parle dans l’entretien qui suit d’une part de  son père TAILDA WAKNA, chrétien de l’ethnie MASSA  confondu à un terroriste et  condamné à la peine à vie et d’autre part de sa  maman Mme BAÏBOUSSA, qui bouleversée par la trame du destin de son époux décide de supprimer sa vie. Père condamné à vie et mère absente à vie, deux destins presque similaires qui se croisent et fait croire à cette descendance, abandonnée à elle-même que vivre n’a plus de sens  dans une société qui pourrait leur rester à jamais intolérante…Pourquoi ne pas le dire ?

ENTRETIEN

Comment prouvez-Vous que votre père condamné à vie par le Tribunal Militaire de Maroua, n’est pas un adepte de Boko Haram ?

Lorsqu’on parle de Boko Haram, à la base, si je ne me trompe pas, c’est avant tout une secte religieuse aux motivations extrémistes. Et les observateurs de la guerre qui nous oppose à cette secte savent qu’entre-autres attaques perpétrées par ces terroristes, se compte un véhicule transportant du whisky et qui fut incendié  au dernier trimestre de l’an 2015 sur l’axe Mora-Kousseri. Détruire à feu un Camion de whisky peut s’assimiler pour ces terroristes, à un devoir dogmatique qui prône l’interdiction de consommer de l’alcool dans les milieux islamiques. Mon père consommateur d’alcool comme tout bon MASSA, malheureusement fait partie des populations indigènes qui s’étaient rapprochées du véhicule après l’incendie et avaient emporté avec eux des stocks de whisky ayant  échappé aux flammes. Une fois le contrôle arrivé au village, il fut arrêté comme d’autres et la suite est celle que nous connaissons.

Comment justifiez-vous le fait que votre père se soit retrouvé si proche du Camion sinistré, s’il n’avait pas des accointances avec ces terroristes-pyromanes ?

Notre maison familiale est située à NINGUIDIWA, distant de 2km de DOUBLER et de 20km de MORA en allant vers KOUSSERI. C’est cette proximité géographique du lieu de sinistre qui fait que mon père et d’autres arrêtés, aient pu se retrouver à côté du véhicule incendié.

A quel niveau de cette histoire, pensez-vous que votre père n’est pas coupable de son malheur ?

Le fait d’avoir soutiré des stocks de whisky est déjà à mon niveau de compréhension, une preuve qu’il n’est pas un adepte de Boko Haram puisque la motivation n’était autre qu’alimentaire. . En plus et sauf preuves contraires, je n’ai pas appris que des  chrétiens militaient au sein de cette secte, encore moins certaines ethnies comme la nôtre. Voilà ce que je crois être des éléments qui auraient permis à mon père d’échapper à la lourde peine subie.

Pensez-vous que le Tribunal Militaire n’ait pas appréhendé les faits de la manière que vous et que les déclarations de votre père au cours des enquêtes aient peut-être servi de motivations à la sentence qu’il a écopée ?

Je suis trop petit pour évaluer un collège de magistrats militaires. Cependant ce que je vous dis est assez clair.  Et si mon père a dû  faire des déclarations gênantes susceptibles de le culpabiliser, je mettrais cela dans le cadre des conséquences des conditions de détention et  peut-être aussi des  formes de traitements qu’il aurait subis avant le procès.

Votre père a-t-il subi de tortures ?

C’est à lui de vous répondre. Le moins que je dirai est que la faute de mon père est d’avoir gardé chez lui une partie de stock de marchandises après un sinistre. Voyez-vous jusqu’à  quel point l’ignorance de nos parents et la pauvreté dans laquelle nous vivons, constituent de graves dangers dans nos vies. En dehors de cela, il ne mérite pas une Condamnation à vie. C’est très lourd.

Que deviennent les membres de votre famille ?

Chaque jour est une phase de lutte contre la misère, pour la survie. Issus d’une famille déjà très pauvre, notre sort s’est alourdi lorsque la mère, troublée par la peine de prison infligée au père, a préféré se suicider. C’est ainsi que tout s’est compliqué. Je suis l’aîné encore élève à défaut d’avoir été autre chose de mieux. Mes     cadets végètent. C’est difficile d’en parler. On se bat comme on peut, mais les jobs à Mora sont rares et cela nous complique gravement la situation.

Qu’est-ce qui vous motive à nous rencontrer ?

Pendant la crise, j’ai longuement entendu parler de l’assistance aux Déplacés, Réfugiés, Retournés, etc. N’étant ni l’un ni l’autre, mais vivant avec mes cinq cadets une expérience assez rude, je voudrais passer par votre tribune pour solliciter auprès de ces ONG humanitaires, une assistance humanitaire aussi modeste serait-elle. En plus, je voudrais à genoux et en larmes, solliciter auprès du Chef de l’État, le Président Paul BIYA, la Grâce pour mon père et pour tous ceux qui dans les mêmes conditions que lui, payent les conséquences de la pauvreté et de l’ignorance. Mon père n’a jamais été Boko Haram. Je viens de vous en donner les preuves et tout le village l’a témoigné.

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