Menaces d’exclusion ? Oui, cela concerne le millier de Déplacés qui parsème l’espace LOSATSA [1]. Pour certains c’est le fait de ne pas pouvoir payer les frais exigibles dans les Lycées, alors que pour d’autres (Lycéens et Écoliers) la non régularisation des frais de l’APE[2] pourrait justifier le sort. Véritable épée de Damoclès. Une situation gênante qui met en péril la large toile de solidarité nationale et internationale tissée voici bientôt cinq ans.. On croyait bien cette population à l’abri de ce genre de préoccupations. Mais comment en arrive-t-on là ? Un ENTRETIEN ci-dessous reproduit nous est accordé par un jeune homme, WANG YOU (un prête-nom, sécurité oblige) élève de 1ère A4 dans un Lycée de la localité et lui-même DÉPLACÉ. Il nous parle de leurs conditions, de leurs misères, de leurs espoirs. Mais avant de prendre le pool de cet échange, il nous semble opportun de revenir brièvement sur l’histoire de cette minorité.
Elles sont nombreuses ces populations camerounaises obligées de quitter leurs terres, il y a plus de trois ans pour des horizons plus sécurisés. Ces importantes migrations sont la conséquence de l’insécurité perpétrée par BOKO HARAM qui attaque à partir du territoire du géant voisin. Enfants, femmes, vieillards et autres adultes doivent parcourir à pied de longues distances jonchées de toutes sortes d’obstacles : Canicule, déficit d’eau de consommation, collines à gravir, malades à porter, famine à manager, etc. Le Mayo-Tsanaga pour certains devient le point de chute, au moment où le Logone et Chari et le Mayo-Sava bras ouverts, accueillent d’autres. Nous sommes en plein cœur de l’an 2014, deux décennies jour pour jour après le début des hostilités à Bakassi. Sur tout autre flanc, le quotidien des populations est entretenu par des détonations ça et là. Boko haram tente et échoue plusieurs incursions sur notre territoire. L’armée Camerounaise se trouve plus que jamais face à ses responsabilités, face au devoir..Il faut instaurer par tous les moyens l’assurance dans les cœurs des populations qui redoutent le pire. Loin de là ! Les contraintes humanitaires se frottent aux exigences régaliennes du gouvernement. L’appareil de l’État se mobilise. La communauté internationale s’invite. Tout est mis en ouvre pour contenir et surtout entretenir cette marée humaine à laquelle se sont joints réfugiés et retournés…. Un seul détail n’échappe pas à l’organisation. On croit l’opération réussie à tout point de vue. Mais c’est refuser d’avoir pris en compte le rôle confus des pêcheurs en eaux troubles qui en ont profité pour s’emplir les poches. « La chèvre broute là où elle est attachée », dit-on très souvent. On y a vu des cadres de la fonction publique réactiver les gènes récessifs de kleptomanie qui sommeillaient en eux. Les Services de renseignement ont touché du doigt tout le mécanisme mis en place par ces bandits masqués. On a vu ces dons alimentaires être revendus sur nos marchés par des fellow mates.. Que dire de certains chefs d’Établissements scolaires qui selon toutes vraisemblances, auraient revendu des tonnes de matériels didactiques destinés aux réfugiés et déplacés ? Que faire de ces autres patrons d’Établissement qui se sont plus à « récolter » auprès de ces minorités, des frais de dossier du Concours d’entrée en 6è et du C.E.P[3], au moment où le Président de la République avait décidé de la gratuité de ces frais ? D’ailleurs, comment sont gérés ses frais de l’APE ? Si le sérieux de nos Institutions reste intact, il serait bien souhaitable que chacun de ces Responsables présumés retors, puisse justifier de sa gestion que nous qualifions de funeste et de fretin. Voilà autant de chaînes d’impure solidarité qui se sont cloisonnées pour devenir de subtiles forteresses entre DESTINATAIRES des dons clochardisés et principaux DISTRIBUTEURS devenus des pachas. C’est aussi comprendre pourquoi de nombreux déplacés pour certains n’ont eu droit à leurs droits qu’en les achetant auprès de distributeurs occasionnels, alors que d’autres n’en n’ont jamais « humés ». De là, le sort de ces Écoliers et Lycéens menacés d’exclusion fait penser que la vaste mobilisation humanitaire autour de cette question migratoire, semble n’avoir été qu’un folklore des paillettes. Pourquoi pas le dire ?
ENTRETIEN
Depuis quand êtes-vous devenu « Déplacé » ?
Sans le vouloir, il faut bien le préciser, je suis parti de YEGOUA pendant les vacances de 2016. L’insécurité avait atteint son comble. Avec ce statut de Déplacé, j’en suis à la deuxième année scolaire.
Deuxième année scolaire, sous hautes menaces d’exclusion. Pourquoi aujourd’hui et pas l’an dernier ?
Le problème est là. Si nous crions c’est parce que nos parents qui se sont toujours occupés de nos besoins, sont fatigués et sans ressources. Cultivateurs, ils ont abandonné leurs champs. Éleveurs, les troupeaux ne peuvent plus paître dans des lieux sécurisés pour ceux qui en ont encore, puisque boko haram a presque tout emporté. Débrouillards, quel travail peuvent-ils faire ici, où la misère est partout ?
Et pourtant, vous avez reçu des aides de partout ?
Trois Déplacés sur cinq n’ont rien perçu de ces dons. Je m’en tiens aux déclarations de nos parents qui inscrits sur les listes des Déplacés, ne retrouvent plus leurs noms au moment de la distribution des dons.
Comment des noms peuvent-ils disparaître ?
Je ne sais pas. C’est plus fort que nous.
S’agissant de ceux qui en ont reçus, comment cela a-t-il été distribué ?
Je ne parle que des élèves pour dire qu’en une année, chaque Déplacé du secondaire perçoit : Un sac de riz ou de farine, Sept morceaux de savon, Un seau en plastique, Cinq sachets de tomate ( helena tomatoe), trois cahiers, deux bics, un livre et une œuvre littéraire au programme scolaire. Alors qu’un Déplacé encore à l’Ecole Primaire reçoit : Deux tasses (ndlr : environ 3kg) de riz, deux morceaux de savon, un Sachet de tomate, deux Cahiers, un livre.
Qu’en est-il du logement, de la santé, des frais exigibles dans vos Etablissements scolaires ?
A chacun de se battre. Voilà pourquoi les amis et frères ont souhaité vous rencontrer afin de plaider pour nous. Vivre est difficile. Manger impossible. Nos parents sont des locataires dans de maisons qui se sont écroulées dès les premières pluies. Il faut louer et assurer le minimum nécessaire pour ne pas crever. L’agriculture et l’élevage sont des activités mortes avec l’insécurité. Les pluies tardives ont compliqué les calculs de ceux qui font aux alentours l’agriculture de subsistance. C’est très dur !
Pour combien de francs êtes-vous menacés d’exclusion de vos Établissements ?
École Primaire par élève : APE = 2.500 F – Dossier C.E.P = 10.000F
Lycées par élève : A.P.E = 5.000F – Dossier BEPC = 7.500F – Probatoire = 11.000F – Baccalauréat = 12.000F
Et si rien n’est fait pour vous aider, quelle serait votre conduite à tenir ?
(Larmoyant) Je parle de moi-même pour dire qu’à défaut je me contenterais d’errer dans l’attente d’une ouverture comme un soutien, un concours, etc. Je n’ai pas de choix avec des parents affaiblis et appauvris et un milieu où il n’y a pas de job.
Que vous ont dit d’autres, le cas échéant ?
(Hésitant, bégaiement, puis en sanglots) On n’en a réellement pas parlé. Je suis quand même sûr qu’à défaut de cette assistance que nous souhaitons, ce sera la catastrophe. La prostitution pour les filles avec les maladies et grossesses non désirées, le banditisme pour certains d’entre-nous et bien pire que cela
Parti de YEGOUA pour KOURGUI, suppose que vous n’avez pas eu assez de difficultés à vous adapter puisque vous trouvant dans le même arrondissement, donc chez vous ?
Il y en aura toujours. Quand on laisse sa terre natale pour d’autres zones, même à l’intérieur de son pays, ce n’est pas toujours facile. La nostalgie nous suit.
Dites-nous, combien êtes-vous recensés comme « Déplacés » ?
Je ne sais pas. Nous sommes issus de divers villages et de diverses origines ethniques. Cela devient difficile à moins que l’on se rapproche des leaders ou des autorités. A ma connaissance, dans cet arrondissement (Mora) nous sommes plusieurs centaines, Ecoles primaires et tous les lycées compris. Cela se voit à l’Etablissement, au marché, au quartier, partout. Et si l’on pense à notre effectif du côté du Mayo-Tsanaga et du Logone et Chari, ce serait plus grave.
Peut-on savoir les noms de quelques villages de votre provenance et naturellement les groupes ethniques que vous composez ?
Plus d’une trentaine de villages dont les plus connus sont : Limani, Amchidé, Bornori, Tokolomari, gangawa, Blabine, Gouzoudou, Sanda Wadjiri, Gancé, Grea, etc. Les groupes ethniques sont : Mafa, Mandara, Arabe-Choa, Gizigah, Moudang, Mada, toupouri, Kapsiki, Boum, Mousgoum, Kotokos, etc.
A Kourgui, vous êtes plus en contact avec les mandaras dont la langue est la plus parlée. Quelle est la nature de vos contacts quotidiens ?
Simplement des contacts ordinaires. Sans aucun problème. Nous sommes en sécurité. En plus, il faut payer le loyer dès la fin du mois. Il est inutile d’attendre que le voisin qui t’a accueilli te donne à manger. Même si tu peux toi-même t’inviter dans son plateau de nourriture, ce ne sera pas tous les jours et à ta faim. Il a ses charges, ses problèmes. Il y a question d’honneur !
Qu’attendez-vous de nous ?
Faire entendre nos cris de douleur. Demandez un appui afin de sauver tout ce qui nous reste, après avoir tout perdu dans nos villages.
Qu’est-ce qui vous reste ?
L’éducation scolaire et Universitaire, la formation professionnelle et la santé…
Au cas où une assistance vous est accordée, comment devrait-on vous identifier et éviter que vos dons soient détournés ?
Nous avons une liste incomplète. Mais en identifiant les parents, les enfants n’auront pas de difficultés à être dénombrés. Mais pour cela nous exigerions l’implication des Droits de l’Homme dans cette opération.
Nous vous remercions !
Propos recueillis le 05 Octobre 2017
Par
Xamely de Kenné
[1] LOSATSA : Acronyme qui fait référence à la zone rouge de l’Extrême-Nord. « LO » renvoie au département du Logone et Chari, « SA » pour le Mayo-Sava et « TSA » pour le Mayo-Tsanaga
[2] APE : Association des Parents d’élèves.
[3] C.E.P : Certificat d’Études Primaires