Le grand nord en général et l’Extrême-Nord en particulier n’affichent guère bonne figure dans le classement officiel des performances scolaires du Cameroun. Cette position terne ne remonte pas à l’an dernier. Elle est permanente et risquerait de se transformer en une évidence. C’est comprendre qu’à défaut de vilipender haut et fort toutes ces pesanteurs, il est possible qu’un jour, l’on nous dise que « le grand nord n’est qu’un cul-de-sac, où gisent des gens peu ou pas productifs ». Loin de tout alarmisme, la présente entreprise nous semble d’une urgence telle que tout silence prolongé s’assimilerait à une défaillance de notre part. Il faudrait forcément décrier ces manquements avant qu’ils n’aient assez mûris.. Aussi, les propos du genre « efforts du gouvernement à lutter contre la pauvreté et le chômage », vulgaires « ingrédients » contenus dans la quasi-totalité des discours politiques aujourd’hui désuets, ne sauraient-ils être négligés. Mais quelle est leur amplitude ? Quelle est leur incidence dans la gestion réelle et effective des problèmes qui minent notre société ? Sont-ils en phase avec les réalités ou relèvent-ils exclusivement des « cadeaux » jetés aux nécessiteux dépouillés de tout pouvoir de choisir, puisque dans tous les cas « a beggar has no choice » ? Qu’on soit à NGAOUNDAL dans l’Adamaoua, POLI dans le Nord, MOGODE ou MORA dans l’Extrême-Nord, etc. les lourdeurs que nous fustigeons restent les mêmes et gravitent autour de quatre axes :
- Déséquilibre Climatique ;
- Gestion bancale des Ressources humaines ;
- Choix politiques immatures et Infrastructures Vacillantes.
- Clochardisation des Enseignants.
DÉSÉQUILIBRE CLIMATIQUE
En douze mois d’une année civile, le Grand nord ne connaît que trois mois de saison de pluies. De février à Mai, la canicule impose aux enseignants et apprenants un régime drastique. Après la pause de 10h, il est impossible physiquement et intellectuellement de produire le moindre effort. Il y fait quelquefois 38-39 degré à l’ombre. C’est la période qui couvre les 2è et 3è trimestres décisifs de l’année scolaire. Or, au vue de ces réalités, il est mathématiquement impossible de « consommer » rationnellement les programmes. Au final, les évaluations officielles au cours des examens ne tiennent pas compte de ces « épreuves naturelles ». L’apprenant du grand nord en dépit de tous les efforts, se présente à l’examen logiquement « affaibli » par rapport à son compatriote du Grand Sud. Il est vrai que sous le prétexte d’ « harmonisation des courbes », le gouvernement donne l’impression de tenir compte du mal nordiste. Mais pour quelle crédibilité des résultats ? Déclarer admis tout candidat du Nord ayant franchi au moins 07,50/20 au baccalauréat, contre 08,50/20 pour le Candidat du Sud, n’a objectivement aucune importance. Ce serait officialiser la médiocrité. Les déséquilibres naturels ne s’harmonisent pas par des actes administratifs. Aussi réussir à un examen devrait-il relever d’une réelle gageure et non d’une faveur politique. Le contraire serait dresser le lit de l’incompétence décorée par des diplômes…Oui, de gros diplômes sans âme et sans chaleur, géniteurs de titres ronflants et sources d’ambitions démesurées. Mais que valent-ils finalement ? De là, nous nous demandons comment le gouvernement au su de ces « failles », persiste t-il à maintenir le système en vigueur ? Comment peut-on entretenir dans l’esprit des apprenants la fallacieuse idée selon laquelle, l’issue objective de toute formation scolaire ou académique se résume au diplôme ?
De toutes les manières ce choix politique puisqu’il en est un, serait à notre avis l’arme silencieuse que le gouvernement utilise pour bercer subtilement une forme plus ou moins avouée de la discrimination entre le bloc Nord et le bloc Sud. Mais pour quel intérêt ? Pour quel but un gouvernement se plairait-il à cultiver quelle que forme de discrimination au sein de sa structure ? La real politic a ses exigences qui ne nécessitent pas un plébiscite pour être adoptées. Dans tous les cas de figure, si cette affirmation paraît ambiguë, fort est de constater que ce problème est posé par nos soins sur la table de notre gouvernement depuis Avril 2013. Un aîné et brillant Universitaire Camerounais en avait amplié à d’autres organisations internationales. Signal fort qui méritait toute l’attention de nos décideurs. Mais quatre plus tard, cette suggestion est restée sous le boisseau sans que de solutions ne soient apportées au problème. Soit notre démarche n’avait aucune importance, auquel cas des solutions fortes et saluées auraient pu être apportées au problème. Il est moralement inacceptable qu’au moment où les pluies diluviennes entre Juin et septembre arrosent le bloc austral (Grand Sud) du pays, que tous les scolaires Camerounais soient en vacances alors qu’à l’opposé, la Canicule qui sévit entre Février et Mai dans le Grand Nord, ne suscite aucunement l’attention des décideurs. Et pourtant, preuves à l’appui, cette rude chaleur impose aux apprenants des efforts comparables à un hara-kiri, véritable sentier suicidaire qu’aucune âme aguerrie n’accepterait emprunter.. C’est à titre qu’il nous semble utile une fois de plus de souligner que le gouvernement devrait prendre en compte tous ces déséquilibres naturels et donner la chance à chaque Camerounais de s’épanouir là où il se trouve. Le contexte prêtant, nous proposions (il y a quatre ans en 2013) et réitérons aujourd’hui comme piste de solution, le tableau ci-dessous reproduit lequel (à en croire un sexagénaire qui fut lycéen au grand Nord dans la décennie 60) reflète à quelques exceptions près, la planification de l’année scolaire en vigueur au Cameroun jusqu’à l’aurore des années septante.
Cameroun Austral – Grand Sud – |
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DIVISION DE L’ANNÉE |
PÉRIODES
CONCERNÉES |
Examens de fin d’Année
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Vacances |
1er Trimestre | Sept – Oct – Nov |
Juin |
Juin Juillet Août |
2ième Trimestre | Déc – Janv – Février | ||
3ième Trimestre | Mars – Avril – Mai | ||
Cameroun Boréal – Grand Nord – |
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1er Trimestre | Mai – Juin – Juil |
Février |
Février Mars Avril |
2ième Trimestre | Août –Sept-Oct | ||
3ième Trimestre | Nov – Déc- Janv |
Approche de planification équilibrée de l’année scolaire au Cameroun
GESTION BANCALE DES RESSOURCES HUMAINES
C’est récurrent d’entendre dire que des enseignants mutés du grand sud pour le grand nord, refusent de s’y rendre ou à défaut, s’y présentent et replient au grand sud…Des mesures draconiennes et par moments sans effets réels sont prises contre ces « mauvais serviteurs ». Parallèlement, il saute à tous yeux curieux un phénomène qui veuille qu’environ les ¾ des produits de l’École Normale Supérieure (ENS) de Maroua et quasiment ceux issus des Écoles Normales des Instituteurs (ENIEG) du Grand Nord, soient appelés à exercer dans leurs départements d’origine. Les raisons de cette approche sont autant belles, aguichantes qu’autodestructrices et maladroites de ce que tout enseignant devrait bercer en lui. Nous sommes convaincus qu’un enseignant formé n’est pas seulement ce diplômé de telle ou telle autre École, fut-elle prestigieuse. L’enseignant est avant tout un chercheur appelé à produire et pourquoi pas, remettre en question ce qui est d’emblée accepté comme vrai. L’enseignant n’est pas ce « copieur-Colleur » de ce que ses aînés ont dit ou publié. Il lui faut des ressorts intérieurs pour penser autrement. Il doit devenir intellectuellement un « producteur » des données à penser. Et pour y parvenir, la tâche facile ne consiste pas à enseigner dans la ville où l’on est né, grandi, fréquenté…. Elle exige un détachement, une auto-violence qui ouvre les écluses du savoir-vrai. C’est en se frottant aux autres réalités culturelles, naturelles, etc. qu’un Enseignant de géographie, de philosophie, de français, etc. se perfectionne et devient un véritable « athanor », source d’émulation de ses élèves. Lorsque nous regardons de près la région de l’Extrême-nord, très peu d’enseignants surtout d’histoire sont capables de restituer à leurs élèves l’essentiel de l’actualité socio-politique dans le monde. La grande majorité toutes catégories confondues, ne disposent même pas d’un Ordinateur ou mieux ne lisent du tout pas et ne s’invitent même pas aux recherches. C’est bien gênant de le rappeler quand on réalise combien le Professeur Cheick AMIDOU KANE eut raison lorsqu’un jour, il disait que l’ « enseignant qui cesse d’appendre, doit cesser d’enseigner ». Que dire des promotions « accélérées » qui foisonnent dans ce milieu ? Un enseignant dans la pure et noble tradition des valeurs attachées à cette profession, a-t-il besoin d’être promu qui Directeur, qui Surveillant Général, qui Censeur, qui Proviseur, etc.? En cédant à cette pratique, le gouvernement « crucifie » et « stérilise » le génie créateur de tous ces hommes et femmes dont les promotions précipitées aux postes de responsabilité ne profitent en rien à la formation de la jeunesse, si ce n’est d’entretenir leur égo.
Par-dessus tout, le « Sudiste » qui refuse de se rendre au Nord, brandit un certificat médical qui le déclare allergique à la chaleur à défaut de faire usage d’autres stratagèmes. Par ailleurs, le « Nordiste » qui préfère le Nord s’y retrouve déjà et ne jouit pas autant que le « Sudiste », des mêmes privilèges en termes d’accès aux outils de recherches. C’est déjà normal de constater le criard déficit des bibliothèques dans le Grand Nord, la quasi absence de cybercafés dans les arrondissements, etc. Aussi, derrière l’hideuse projection qui précède, avons-nous constaté qu’aucun Enseignant du public ne fait fréquenter ses enfants des Établissements primaires Publics. Les Écoles privées ici sont privilégiées. Comment interpréter une telle attitude, si ce n’est de conclure que nos Écoles Publiques construites, gérées et entretenues par l’argent des contribuables, ne sont qu’un gouffre de tout espoir ? Voilà le cliché d’une administration des ressources humaines titubante, sans âme et peu conséquente dans ses choix. Le grand nord toujours perdant. Parallèlement, s’il fallait à tout prix, selon l’approche de la Décentralisation que chaque agent de l’État puisse exercer dans sa localité d’origine, à quoi aurait ressemblé la croisade contre boko-haram avec exclusivement au front, des militaires originaires de l’Extrême-Nord ; une absurdité ? A-t-on besoin de « décentraliser » l’intelligence, le savoir dans un environnement où le développement des régions est disproportionné ?
CHOIX POLITIQUES IMMATURES ET INFRASTRUCTURES VACILLANTES
Sur quoi repose la décision de créer un établissement scolaire ? La multitude de ces Établissements, confère-t-elle la bonne qualité de la formation ? Les pistes sinueuses que nous avons empruntées au cours de nos enquêtes font constater que de nombreux Établissements crées dans le Grand nord n’ont de sens que par rapport à leurs textes de création. Sur le terrain, ce sont des Institutions programmées pour « ensevelir » l’espoir des jeunes.
CORPS ENSEIGNANT PROGRAMMEUR DES ÉCHECS
- Des classes de Terminales littéraires qui n’ont pas de professeurs de philosophie ;
- Un lycée qui n’a qu’un Professeur de Mathématiques et d’Anglais qui tiennent toutes les classes des deux cycles;
- Un vacataire de Mathématiques qui tient les classes de 3è et 2nde avec à la base un Baccalauréat A4 ;
- Un Professeur de SVT qui n’a dispensé que deux Chapitres en Terminale D (le reste de temps étant consacré à ses business) au cours d’une année, s’est vu propulsé d’abord Censeur, puis Directeur d’un CES ;
- Un vacataire avec le grade d’ IEG (Instituteur de l’Enseignement Général), titulaire à la base d’un GCE O’level (BEPC), qui tient les classes de Terminales A4 en Anglais ;
- Un PCEG –Histoire qui n’a pas pu tenir par incompétence les classes de 3è, s’est vue propulsée Surveillante Générale puis Censeur ;
- Des Lycées Franco-Anglais crées en lieu et place des Lycées bilingues annoncés dans les textes ;
INFRASTRUCTURES INADAPTÉES (sans être exhaustif)
- Le C.E.S de MAKOULAHE, Canton Podoko-Nord, Arrondissement de Mora( voir image ci-dessous) ne dispose que deux Salles et un hangar pour huit classes, après avoir squatté un an à la Mission catholique de la Place.
- Le Lycée de KOURGUI (dont la vue partielle ci-dessous est jointe) situé à moins de 2km du CES de MAKOULAHE, compte dix-sept classes contre sept salles.
CLOCHARDISATION DES ENSEIGNANTS
Que valent les Enseignants du Secondaire et Primaire sur l’échelle d’évaluation des corps de métier au Cameroun ? Comment sont-ils traités par les gouvernants ? Quels sont les privilèges attachés à cette profession naguère noble[1] ? L’expérience variée vécue par ces hommes et femmes dans la région de l’Extrême-Nord suffit pour chacun de s’en faire une idée.
- YAGOUA dans le Département du MAYO-DANAY: E.M.H., jeune professeur de langues, fraîchement sorti de l’ENS et muté dans un Lycée de ce département doit vivre des cours répétitions en attendant que son salaire lui soit régulièrement versé. Cette attente peut durer 2 à 3 années scolaires. Tout se passe bien jusqu’au jour où, Monsieur L, père de la fillette qu’il répète, le surprend dans le lit conjugal « tenaillé » par son épouse. Interrogé sur ses motivations par un Pasteur très proche de la famille, le jeune PLEG âgé 24 ans et de seize ans plus jeune que son amante, déclare par un timbre confessionnal, avoir cédé aux avances de « tantine », contre le soutien matériel que celle-ci lui apporte régulièrement. Et de rappeler qu’il est sans salaire et ne compte sur aucun appui au sein de sa famille.
- MOKOLO dans le département du MAYO-TSANAGA : Y. L. enseigne dans une École publique éloignée de la ville de MOKOLO. Elle est en attente de contractualisation depuis deux années scolaires. Son époux habite une ville de la Région du Littoral où il encadre leurs deux enfants. Entre-temps, elle fait la connaissance d’un Maître-Principal (Adjudant-chef Marin) qui l’ « embarque » et lui trouve un logement décent dans la ville. La relation de concubinage entre les deux n’a jamais été soupçonnée par l’époux cocu. Plus tard, Y. L constate qu’elle est enceinte. Médite sur la conduite à tenir, mais doit attendre que son amant de marin revienne d’une expédition afin qu’une décision puisse être prise. Plus le temps passait, plus le dispositif psychologique se dégradait, puis vint une complication. La jeune enseignante porte une grossesse extra-utérine à un stade très avancé et pas maîtrisé. A force d’attendre le marin-sous-officier et faute d’argent suffisant pour parer à tout, le pire s’amène un après-midi lorsque l’enseignante désespérée rend l’âme.
- Logone et Chari, Chef lieu KOUSSERI : Un enseignant de matières scientifiques dans un Lycée situé hors de la ville de Kousseri qui a requis l’anonymat nous parle de son expérience. Voici son témoignage : « Il n’est pas facile de résister à la tentation de l’argent, pour nos autres qui miserons au quotidien (…) nous avons parmi nos élèves des fils de puissants commerçants de la localité très paresseux et absentéistes (…) que nous épaulons afin de leur épargner les ennuis de leurs parents en cas d’échec ou d’exclusion (…) des exclus de la classe de 4è l’année dernière par exemple, se retrouvent après arrangement en classe de 3è dans le même Établissement cette année scolaire (..) Je n’ai aucun regret, il y a pire que moi dans cette vie. »
Emmanuel MOMO
[1] Ernest Ouandié, John Ngu Foncha, Salomon Tandeng Muna, André-Marie Mbida, etc. pour le Cameroun et Modibo Keita, Nkwame Nkrumah, Leopold sedar senghor, Njomo Kenyatta, etc. pour le contient, furent des Enseignants à la base de leurs actions politiques.